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6 ago 2024

L'École Moderne à Cuba


Comment Fidel Castro vante à Cuba les bienfaits de l'École Moderne
Octobre 1961 1

Nous serons très prochainement en mesure de vous donner le compte rendu détaillé du premier Congrès des adeptes cubains des Techniques Freinet, qui s'est tenu à la Cité scolaire les 15 et 16 septembre dernier. J'ai beaucoup regretté, on l'imagine, de n’avoir pu répondre à l'aimable invitation qui m'avait été faite de me rendre à Cuba à cette occasion. Nous espérons bien qu'aux prochaines vacances une délégation de l'Ecole Moderne pourra aller prendre contact avec nos camarades de Cuba. 

 

 

L'événement est, en effet d'importance. Pour la première fois un pays, grand sinon par le chiffre de sa population, du moins par l'influence politique et morale qu'il a pu acquérir dans le monde, adopte officiellement les Techniques Freinet, fabrique le matériel d'imprimerie, édite nos fichiers traduits en espagnol, publie à 60 000 exemplaires nos Supplément B.T., nos livres, nos Albums d'enfants. Cuba est en train de faire la preuve que nos techniques sont simples, à la portée du peuple, qu'elles suscitent l’enthousiasme et le besoin de culture, et surtout qu'elles sont mieux à même que les méthodes traditionnelles de former des hommes.


Dans un récent discours radiodiffusé, Fidel Castro a présenté au peuple cubain les progrès que représentent et que garantissent les innovations hardies apportées à l’éducation du peuple. Nous sommes heureux de publier la traduction de ce discours, en remerciant Fidel Castro pour son souci lucide et généreux d'une éducation libératrice, M. le Ministre de l'Éducation Nationale pour la hardiesse de ses décisions, et notre ami Almendros qui reste, à la base, le grand animateur de la Révolution pédagogique dont Cuba donne l'éloquent exemple.

C. FREINET

Ce que dit Fidel Castro

Octobre 1961 2

 

« Les Cités Scolaires continuent. C'est là une entreprise révolutionnaire, entièrement nouvelle dont l'objectif précis est d'appeler, de rassembler tous les enfants isolés dans la montagne pour les faire vivre en véritable communauté dans ces centres.

Cette innovation s'inscrit dans un ensemble déjà fort important car nous avons d'autres innovations : les auberges enfantines, les cités scolaires aux divers degrés, et surtout la réforme complète de l'enseignement, l'orientation nouvelle des maîtres, la rénovation des livres et de tout l'équipement scolaire, tout ceci adapté à toutes les régions de Cuba, la transformation permanente des écoles casernes en écoles nouvelles, la création d'écoles adaptées à tout cet ensemble. Ceci a été depuis longtemps un objectif impérieux car ces établissements secondaires nous faisaient jusqu’ici grand défaut et nous sommes soucieux aussi de donner la plus de bourses possibles pour qu’aucune intelligence ne se perde dans nos villes et dans nos campagnes.

En effet, cette richesse d'intelligence dont Cuba a tant besoin sera promue à diriger nos usines, notre économie, notre pays dans son ensemble. Aussi nous ne devons pas laisser perdre une miette de ces intelligences si précieuses. On ne pourra plus dire désormais qu'un travailleur est qualifié parce qu'il est un fils à papa, mais tout simplement en raison de sa vocation et de ses aptitudes. Dès à présent, il existe pour tous les enfants de Cuba les mêmes possibilités de faire des études. C'est cette égalité devant le savoir qui est l'œuvre de la Révolution dans l'enseignement.

Je vais vous parler un peu de ce que font les enfants dans les Cités Scolaires : Ils font leurs propres textes. Ils font leurs livres. Quelle différence avec ce que l'on nous a appris à nous dans des livres tout faits d'avance et qui nous étaient étrangers. Nous lisions : M, A, MA ; M, A, MA ; MAMA... Nous ne mettions aucune idée dans tout cela. On nous disait; «Cette lettre se prononce ainsi. Celle-ci se prononce comme ceci... ». C'était ainsi que l'on apprenait dans les livres d’hier. Ils ne nous apportaient aucune idée qui nous soit personnelle. On parlait bien du chien, du chat, mais ce chien et ce chat n'étaient pas le nôtre... alors, nous n'y mettions aucune idée, aucune émotion. Nous y apprenions tout de façon mécanique et impersonnelle.

Cette éducation mécanisée a créé un certain type mental, mécanisé aussi et la conséquence en est que beaucoup de gens éprouvent aujourd'hui de grandes difficultés pour écrire simplement leurs pensées car on ne leur a pas appris à partir de cette pensée, à l'éprouver pour ensuite avoir recours à la technique qui permet de la communiquer aux autres. On nous a, au contraire, appris à manier la technique avant d'avoir une idée à exprimer.

Aujourd'hui, dans nos Cités Scolaires, les enfants ont des imprimeries. Ils vont en promenade, visiter tout ce qui les intéresse dans la Nature ou dans le domaine de l’économie. Ils observent et ensuite quand ils rentrent, ils se réunissent avec leurs professeurs, racontent ce qu'ils ont vu, en discutent, demandent des explications, émettent toute une série d'idées, de projets très vivants et réels.

Le meilleur travail de ces élèves est retenu, écrit au tableau, et à nouveau discuté avant que d'être imprimé. Ainsi, vous le voyez, les enfants sont leurs propres juges et s'entraînent à sélectionner leurs meilleurs travaux. Il en résulte de beaux récits qui sont les pages d’un livre remarquable pour chaque enfant qui jour après jour acquiert des connaissances liées à sa propre vie, et c'est ainsi que s'est développé un esprit ouvert à tout et qui perçoit et enregistre tout. Les petits ouvrages réalisés par ces enfants en sont l'éclatante démonstration.

Par ailleurs, ils font de la peinture et toutes les techniques d’expression artistique. Ils ont eux-mêmes exécuté les gravures qui illustrent leurs petits cahiers et leurs livres. Tout est ici très personnel et vivant,

Voici des pages d'un livre ainsi réalisé :

« Une excursion. — Dimanche, nous sommes allés, avec quelques camarades au centre Bartolomé Maso. A notre arrivée, on nous a donné de la guarapa. On nous a montré toutes les machines. Comme le sucre avait une belle couleur dorée ! ».

Ramon ORTI.

C'est certes enfantin, mais vous pouvez vous rendre compte par vous-même que tout ce qu’écrivent ces enfants ne leur a pas été apporté tout fait de la ville. Ils disent les choses qu'ils ont observées aux champs, tous les événements de la campagne qu’ils ont vus, qu’ils ont vécus. Il est surtout nécessaire d'exprimer seulement les choses que l'on connaît bien pour arriver à bien penser.

Vous voyez, ces humbles cahiers d'enfants, ils sont pour moi des morceaux de littérature parce qu'ils reflètent les thèmes profonds de la vie des enfants, leurs aspirations, leurs rêves, ce qu'ils aiment et aussi ce qui retient leur curiosité, ce qu'ils voient dans un cirque comme ce qu’ils observent dans une centrale sucrière, dans un bateau, dans tout ce qui les entoure. C’est ainsi qu'ils s'habituent à utiliser l'écriture comme moyen d'expression de leurs idées. Ils ne feront pas comme beaucoup qui voudraient écrire quelque chose sans savoir quoi écrire. Ceux-là emplissent leur écriture d'idées creuses, vides, qui ne veulent rien dire. Ils ne savent pas que l’on écrit facilement lorsque l’on a pensé.

Il ne s'agit pas, en effet de rechercher une idée pour écrire. Il faut prendre ses propres idées, avoir quelque chose à dire, à communiquer, avoir d’abord une pensée riche et fertile. Alors se développera d’une manière fantastique l’intelligence vraie de ces enfants qui très certainement nous dépasseront dans tous les domaines ».

Fidel CASTRO



Jean Le Gal décrit dans son livre « Le maître qui apprenait aux enfants à grandir » comment il avait commencé une correspondance de classe avec le Cuba 3 :

« Connaissant mon attachement à la défense des droits et des libertés, Freinet me propose alors de correspondre avec une jeune pionnière de l’éducation de Cuba afin de l’aider dans son action éducative. Les enfants acceptent aussi d’écrire. Un vieux militant de la guerre d’Espagne traduira les lettres et les documents que nous recevrons.

Nous envoyons immédiatement des lettres, des albums, une enquête sur notre quartier, nos journaux. Dès le mois d’octobre [1961] nous recevons nous aussi des lettres, un album d’enfant illustré et un journal tiré avec l’imprimerie de la classe. La vie et les rêves vont pouvoir s’échanger au-dessus de l’Océan. […]

Je tiens Freinet au courant de nos échanges. Dans une lettre du 27 avril 1962, il m’encourage à continuer. […]

Mais nous ne recevons plus de nouvelles de Cuba. Je m’en inquiète auprès de Freinet. Y aurait-il eu un différend entre Freinet et les éducateurs cubains ? Je suis au courant de l’embargo des Etats-Unis sur la production sucrière de Cuba et de l’agression des forces contre-révolutionnaires, qui ont amené Fidel Castro à se rapprocher des Soviétiques. Cela a-t-il eu des répercussions sur l’organisation de l’école cubaine ?


Freinet répond à mes interrogations, le 3 mai :

Un mot sur les relations avec CUBA. Non, le différend n’a nullement été entre nous et les éducateurs cubains, ni notre ami Almendros qui en a toujours été l’animateur. Ce sont des difficultés d’un autre genre.

Tu sais que depuis quelques mois les Soviets se sont de plus en plus imposés à Cuba et que s’y imposant politiquement, ils ont une tendance naturelle à y imposer leurs pratiques éducatives. Or leurs pratiques éducatives, pour ce qui concerne surtout le 1er degré, restent excessivement traditionnelles et c’est pourquoi l’URSS est totalement contre nos techniques, qu’il n’y a pas moyen de les faire étudier par les Instituts pédagogiques d’URSS, que les contacts restent pour ainsi dire rompus. Il est naturel donc que, arrivant à CUBA, ils s’efforcent d’éliminer, doucement, sans heurt, notre pédagogie.

Notre ami Almendros en est très affecté. Le tempérament espagnol s’accommode fort mal de cette autorité. Mais nos amis de CUBA parviendront-ils à remonter la pente ? Nous n’en savons rien. “



Herminio Almendros, dans son ouvrage, la Escuela Moderna ¿reacción o progreso? 4 indiquera, que dans ce contexte, ce sont des enseignants français communistes, (Georges Cogniot, Roger Garaudy, Georges Fournial) qui, lors d’une visite à Cuba, ont déconseillé l’utilisation de la méthode Freinet au Ministère de l’Education.

Une grande aventure se termine pour les enfants, pour moi et pour la pédagogie Freinet qui avait trouvé à Cuba l’environnement politique et populaire correspondant à ses principes et à ses objectifs d’éducation des enfants du peuple. Et c’est avec une grande tristesse que je pense à l’enthousiasme éteint par la réaction stalinienne, de notre jeune amie pionnière de l’éducation.



Dans le Bindestrich – Trait d’Union, journal suisse de la pédagogie Freinet, Peter Steiger ajoute à la fin de son article “ La pédagogie Freinet à Cuba ? - ¡Vamos a ver! “ deux remarques du traducteur 5 :


1.

Le "Nouvel Éducateur", numéro 112, d'octobre 1999 6, a publié un article sur Herminio Almendros (1898-1974). Il se termine par les mots suivants :

« Le 1er mai 1961, Cuba est proclamée "République démocratique socialiste ". Almendros fait partie du groupe d’experts qui vont visiter divers pays socialistes. Mais la technique de l'imprimerie à l'école est condamnée par un groupe de membres du Parti communiste français en visite dans l'île. Le gouvernement cubain décide de retirer les imprimeries de toutes les écoles.


Pour la deuxième fois, les questions politiques et idéologiques empêchent cet homme de continuer son œuvre. La trajectoire professionnelle de H. Almendros est irrémédiablement compromise.

Toutefois, il continue son travail d’écrivain, de traducteur d’écrits de C. Freinet, d'éditeur de livres pour enfants. À sa mort, le 12 octobre 1974, il laisse une œuvre très dense (traductions, traités de pédagogie, ouvrages de lecture enfantine, articles publiés dans de nombreuses revues). »


2.

Les trois Français cités n'étaient plus enseignants au moment de leur visite à Cuba, mais permanents du PCF, le Parti communiste français. Voici les dates de leur vie :

Georges Cogniot (1901 - 1978), Roger Garaudy (1913 - 2012) et Georges Fournial (1905 - 1994).

3 Jean Le Gal. Le maître qui apprenait aux enfants à grandir. Un parcours en pédagogie Freinet vers l’autogestion. Préface de Michel Onfray. Toulouse, 2007

4 Herminio Almendros. La Escuela Moderna ¿reacción o progreso?. Editorial de ciencias sociales. La Habana, 1985

5 Bindestrich – Trait d’Union. Le journal du Groupe Suisse de l’Ecole Moderne GSEM. No. 83. Décembre 2016

6 Le Nouvel Educateur. No. 112. 1999. D’après Herminio Almendros Ibanez. Vida, epoca y obra. De Amparo Blat Gimeno. Cuadernos de Estudios locales. No. 13. Octobre 1998.

https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/14957

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